samedi 18 juin 2011

« L’art est à la fois surface et symbole », Oscar Wilde


« Le peintre est seul à avoir droit de regard sur toutes choses sans aucun devoir d’appréciation. On dirait que devant lui les mots d’ordre de la connaissance et de l’action perdent leur vertu ».  Merleau-Ponty.

Voilà en somme de quoi il s’agit en peinture. Un droit de regard sur le monde environnant, une absence radicale des jugements de valeur sur lui, un effacement de la connaissance empirique telle qu’elle est inscrite dans nos habitudes, nos pensées, notre manière d’être et d’agir.

Il s’agit de bien voir, d’être un pur regard jeté sur la scène usuelle des jours, sur l’existence banale des choses et des êtres, nous façonnant avec cette lumière qui toujours les éclaire, sans souci de plaire, parce que trop insaisissable pour le malsain du quotidien, trop évidente pour la filiation des yeux amis du visible.

Un peintre, le peintre, n’est pas seulement celui qui se contente de recueillir ce qui s’offre à sa vue, encore moins qui collecte les impressions qui en naissent. Un « bon » peintre est celui qui, en s’offrant aux choses, les ramène à lui, expérimente leur être de l’intérieur, suce le fruit dur de leur empreinte sur la terre vierge, inconciliable, miraculeuse, du rêve premier.

Le regard ainsi est une découverte. Un voyage. Une forme de connaissance. Il est souveraineté de l’étonnement. Les grands peintres ne cessent jamais de surprendre parce qu’ils habitent le regard comme un voyageur qui revient à sa terre natale après une longue absence. Le familier les éblouit…
Le regard ainsi est une urgence. Fort ou faible, il s’acharne à arracher au monde des images, des « toiles » que la main tisse secrètement. Des merveilles que les couleurs présentent au bout de leur déploiement, redistribuant les dimensions de l’espace, harmonisant ou heurtant les nervures du temps.

Ce qui s’offre sur une toile est la parole sacrée du regard viatique.


Est-il besoin de dire que Bennani s’est déjà engagé dans cette voie ? Que sa jeunesse et son expérience plastique fomentent ce rêve secret d’habiter le regard dont nous parlons ?
Issu de Fès, ville de culture et de tradition orale, de chants millénaires et de mysticisme haut en couleurs, Ahmed Bennani est le résultat d’une lignée prestigieuse de la pensée et du grand savoir.
Grandissant au milieu de ses rues, fasciné par son architecture andalouse, il a tôt appris la valeur fusionnelle du « voir », interrogeant sans cesse les nuances des couleurs, happant en silence le patin du temps, scrutant sans se précipiter les formes multidimensionnelles des ruelles ombragées. Il a ainsi éprouvé et senti les êtres et les choses sous un autre angle, cherchant toujours à rejoindre ce qui gît derrière le visible afin d’apprivoiser l’invisible, premier constitutif de toute existence.

Son œuvre se réclame de deux tendances : Un premier pan figuratif, un autre pan abstrait.

                            
Du problème de la peinture représentative- l’art figuratif-, on ne peut rien dire, sinon ceci : elle tente le visible. Qu’est-ce que le visible ? C’est ce qui s’offre à notre regard, à notre perception la plus rudimentaire. L’objet ou l’être représenté est pris en charge par un regard soi-disant neutre, une sensibilité blanche. L’essentiel est de reproduire. La fidélité est signe de virtuosité.

Derrière ce qu’on voit, nous ne sommes pas vus.

Il est, cependant, un obstacle : Le visible est-il autosuffisant ?  Parie-t-il sur les contextes qui l’entourent ? Prolonge-t-il ses sens vers les multiples relations qu’il entretient avec ses semblables ?
Nul doute que les êtres comme les choses sont complexes, insaisissables, trompeurs de par leur existence effective. Nous sommes devant eux désarmés, sorte d’écho sans retour. Le peintre figuratif n’a d’autres issus pour les attirer dans sa tanière que sa technique, sa performance, sa vision artistique, ses choix de couleurs et enfin sa passion à tout fidéliser. Le récepteur est invité alors à adhérer à un univers stylisé, embelli, idéalisé au maximum.

La toile brille à la fois de sa solitude et de sa richesse puisée du monde extérieur.

Seul donc en face des composantes du monde visible, le peintre oriente sa recherche vers les moyens capables de cristalliser sa vision, adopte et sélectionne des techniques appropriées pour la rendre plus tactile et partant plus frappante au niveau de sa réception.

Dans sa phase figurative, Ahmed Bennani a expérimenté un éventail de techniques et de pigments pour nous rendre le visible à lui plus touchant, plus harmonieux avec son imaginaire de peintre Fassi. Tôt il a cherché à apprivoiser l’univers de Fès, son histoire, ses traditions et ses coutumes. Les particularités de cette ville ont été revisitées à maintes reprises, éclairées d’une douce nostalgie, baignées dans une atmosphère romantique. Des toiles- format moyen- illustrent et louent le passé glorieux de Fès : Vue générale des monuments historiques, un pan délabré mais chargé d’Histoire, des portraits de personnages connus, des natures mortes célébrant son art culinaire, des scènes de la vie moderne pour permettre la comparaison…
Toute cette recherche est traduite avec des couleurs chaudes, très harmonieuses poétiquement, rimant avec un art consommé du dessin, une maîtrise des lignes, de la perspective…Bref, une composition qui ne laisse pas le récepteur indifférent !

A l’instar des grands maîtres -toutes proportions gardées-, Bennani nous a offert  sa passion d’un espace poétiquement aménagé pour l’œil et l’esprit.


Loin de se contenter de cette vision euphorique des êtres et des choses, de cette investigation presque historique d’un espace imposant de par sa tradition mystique, Bennani  s’est rendu compte que la peinture est aussi un univers qui peut se prendre en charge lui-même, sans référence au-dehors, sans cadre géographique ou spirituel qui autoriserait son déploiement serein et appréciable par le passionné d’art.
De là commença pour lui une autre étape, une recherche différente de la première et totalement plus captivante. Une période qu’on peut qualifier d’Abstraite.


Pour aller plus vite, je dirai que la grande leçon de l’abstraction se résume en ceci : 1) Simplification des formes figuratives jusqu’à l’extrême ; 2) Donner à l’art et à l’œuvre plastique une dimension spirituelle. Qu’est-ce à dire ?

1)      La peinture abstraite n’est pas un déploiement artistique sur le vide. Elle est l’expression d’une forme, d’un corps, d’une sensibilité face aux choses, aux êtres, à la nature dans ses merveilles les plus foudroyantes. Le peintre abstrait fait parler le tout, et d’abord son corps qui est une antenne et un réceptacle des ondes qui en émanent. Dès lors, la toile devient un pur foisonnement, une heureuse liberté qui va à la rencontre  de l’invisible qui anime sa géographie. Les couleurs comme les différents matériaux prennent les devants, investissent l’espace du tableau, orientent son mouvement créateur.

2)      L’œuvre plastique, délaissant le perçu, l’imitation de ce qui existe et    
     captive le regard dans une lecture uniforme,  devient elle-même un monde      
     à part, une référence s’auto-détérminant par ses seules composantes :    
     couleurs, pigments, gestualités, tâches, formes géométrisantes, symboles…
     La toile appelle une attention parfaite à sa mouvance intérieure, provoque
     une pluralité des lectures, désigne l’ombre cachée de ce qui nous entoure,
     noyé qu’il est, toujours, dans nos habitudes meurtrières. Le spirituel nous
     tente dans sa beauté et son immanence.




C’est dans cette optique qu’il faut situer la deuxième expérience de Bennani. Répondant à une propension cachée, le voici qui débride sa sensibilité créatrice vers un monde d’enfance, interroge les couleurs dans ce qu’elles ont de magie suggestive et de pouvoir cathartique. Ses dernières toiles nous renvoient directement à une atmosphère très chaude, sensible, nouant des relations avec une source spontanée de l’art.

Nous sommes ainsi éblouis par des couleurs poétiques, sereines, traçant un univers de « calme, luxe et volupté » dont a parlé Baudelaire. L’imagination et l’imaginaire auxquels il nous convie parlent au fond de nous, éveillent des sensations tellement lénifiantes que notre réception s’installe par degré, laissant notre œil s’imprégner de la douceur, notre esprit d’une force silencieuse et frappante.
 Le bleu azur, le bleu marine, les dégradés du rouge et de l’orange, à côté de d’autres couleurs (Le jaune, le vert, le noir…) nous parlent d’une intimement d’une spiritualité qui gît en nous et que si peu de nous reconnaissent sur le parcours de la vie.

« L’art est à la fois surface et symbole », Oscar Wilde.   mel_qandil@hotmail.com


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